Marcher et créer : le dessin pas à pas

le dessin pas à pas

Depuis les vacances, l’espace de partage de la communauté se peuple de paysages majestueux.

On dirait que vos sorties dans la nature ouvrent de nouveaux appétits et ce n’est peut-être pas tout à fait anodin.

Car, c’est vrai, la randonnée produit parfois des sensations comparables au dessin 🌞

D’abord parce que c’est un temps de découverte, mais aussi parce que le rythme de la marche favorise un état de réceptivité qui décuple votre acuité.

Alors, c’est comme si la rêverie prenait racine dans une nouvelle réalité vécue intensément.

Mais c’est un état fugace. Il suffit d’un rien pour tout dérégler.

Soudain, vous êtes pressé d’arriver pour jouir du panorama promis ou vous doutez carrément de pouvoir l’atteindre 🥵

À partir de ce moment, soit vous rêvez d’un bon transat, soit vous forcez.

Dans tous les cas, le terrain devient hostile, car vous n’êtes plus en prise.

C’est comme si vous perdiez le fil de votre récit ✂️

Ne perdez pas le fil ! 

Car dessinateur ou randonneur, ce qui permet de tenir le distance ce n’est pas l’objectif, c’est justement la manière dont on tient son récit.

Un pas après l’autre.

Cette idée m’a traversé l’esprit il y a un an, alors que j’en bavais salement, hissant mon sac de 20 kg sur les sentiers escarpés des Pyrénées ⛰

Attachez vos lacets.

Il n’y a pas de raccourci ❌

Même si vous avez une vision claire de votre destination vous savez qu’il n’y a pas de pont qui vous y mènera tout droit.

Comme un randonneur, vous n’avez pas le choix, il faudra parcourir chaque mètre du chemin, quitte à perdre de vue l’objectif momentanément.

Et ça arrive souvent…

Mais ce n’est pas grave !

Car l’objectif n’est qu’un repère lointain et ce n’est pas lui qui fait le dessin.

Les états successifs du dessin comme une histoire qui se déroule

Au contraire un dessin passe par des états successifs, exactement comme une histoire développe une série de péripéties qui retardent momentanément sa résolution.

D’accord, mais si je tombe sur une impasse, comment retrouver ma route ? 😱

Ne cédez pas à l’inquiétude…

Ne faites pas comme cet écrivain qui recourt au « deus ex machina » pour forcer miraculeusement le dénouement d’un drame.

Ou bien comme le randonneur, qui prend le téléphérique pour accéder à la récompense sans effort.

Ce sont des stratagèmes.

Ils donnent l’illusion de jeter un pont dans le vide mais c’est le pont qui crée le vide sous lui.

Alors ne soyez pas ce dessinateur qui enfourche une idée pour figurer une image à la vas-vite, car faire une image c’est avant tout du temps.

Comme disait Alberti ☝️

“Le plus grand travail du peintre n’est pas de faire un colosse mais une histoire”
Leon Battista Alberti de pictura 1435

Dessiner c’est faire une histoire

Il faut entendre par là que l’image n‘est pas exécutée comme un tout mais comme une succession.

En effet, si le monde visible se présente sous la forme d’une image une, c’est un travail d’artiste que de révéler les unités discrètes qui la composent.

D’ailleurs, Jean Louis Schefer, le traducteur du de pictura, définit ainsi “l’histoire”, selon Alberti:

“Ce qui peut faire l’objet d’une narration ou d’une description”.

Alors c’est peut être dans cette idée que réside le miracle de la peinture: rendre lisible ce qui est visible.

Donc, il ne suffit pas de représenter la réalité, encore faut-il faut la raconter.

Représenter et raconter par le dessin

Raconter l’histoire ✍️

Flash back: Les Pyrénées, août 2023.

Comme je suais sang et eau sur les sentiers escarpés, je me désespérais d’atteindre mon objectif 🥵

Voici comment j’ai pu le toucher, en dépit des difficultés et des doutes qui entravaient ma progression:

Je me suis concentré sur chaque pas, chaque pierre, en les suivant comme une suite de fragments se substituant peu à peu à mon objectif initial.

Mais, à mesure que celui-ci s’effaçait, j’en découvrais de plus proches et de plus accessibles 🎁

Alors, l’étape se transformait en voyage et le voyage en histoire…

Vous voyez où je veux en venir?

Il faut coller au terrain.

Car la réalité est si vaste qu’elle est insaisissable et vous ne pouvez pas la mettre en boite…
À moins d’en faire un récit.

Voici encore ce qu’en dit Alberti:

Très bien, mais bon, on la connait cette histoire de fenêtre… 🙄

Sauf que la fenêtre dont parle Alberti n’est pas une ouverture sur le monde et l’histoire qui s’y déroule.

C’est la fenêtre qui ouvre sur l’histoire du tableau !

Et ça change tout, car il n’est plus question de voir, mais de lire.

C’est une affaire de composition

  • définissez le cadre, car c’est lui qui tient le tout.
  • composez votre paysage en unités comptables et distinctes.
  • découpez ces unités en corps pluriels, eux-mêmes divisés en parties identifiables.
  • enfin, composez ces membres en surfaces, comme autant d’unités élémentaires de votre ouvrage.

Comme une histoire, votre tableau déploie toute sa diversité dans un ensemble composite.

Mais ne vous racontez pas des histoires à dormir debout 🥱

Restez simple: comptez, dénombrez, décrivez chaque forme. soyez spécifique et articulez ces éléments, comme un corps.

Les vides comptent autant que les formes pleines car ils soudent les composantes de l’histoire.

Ce sont les intervalles qui font le rythme.

Un pas après l’autre pour décomposer et recomposer le réel

Ainsi, un pas après l’autre, c’est en décomposant et recomposant le réel que vous construisez progressivement une histoire lisible.

Mais, pour qu’elle reste captivante, je vous conseille d’éviter les idées préconçues et les émotions factices.

Ce sont des résumés qui planent au dessus du chemin sans jamais y poser un pied.

Alors prenez le temps de bâtir votre récit, et dites-vous que personne ne lit les quatrièmes de couvertures 😉


C’est tout pour cette semaine,

J’espère vous avoir donné matière à rêvasser en marchant.

Sinon, sachez que le dessin est un très bon moyen de se mettre en marche sans bouger, tout comme la lecture 😉

👋 À la semaine prochaine !


PS: si vous trouvez le chemin trop escarpé et que vous souhaitez avancer au coeur d’une joyeuse cordée de dessinateurs, notre communauté est toujours prête à vous accueillir.

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