La représentation de l’obscurité à la Renaissance

La représentation de l'obscurité à la Renaissance

Petit cours d’histoire de l’art sur la représentation de l’ombre à partir et sous forme de commentaire d’un texte de Nadeije Laneyrie Dagen

«Les Chinois, si curieux des peintures de leur pays, ont peu de goût pour les tableaux d’Europe, où, disent-ils, on voit trop de taches noires. C’est ainsi qu’ils appellent les ombres.»

Pour étrange qu’elle soit, cette observation de l’abbé Du Bos [1670-1742] a le mérite de mettre en évidence une des caractéristiques majeures de la peinture occidentale: l’existence d’ombres portées, projetées sur le sol ou sur un obstacle dressé en arrière des objets, corps inanimé, végétal, animal ou humain.
La présence de ces ombres joue un rôle extrêmement important dans l’histoire de la représentation du corps.
Longtemps en effet, du début des temps chrétiens jusqu’au commencement du XVe siècle, les objets et personnages peints n’ont laissé derrière eux aucune trace d’ombre. »

Si on observe cette image tirée du Psautier Hunter, on réalise effectivement que les personnages sont très légèrement modelés sur leurs contours mais ne possèdent pas véritablement d’ombre propre ni d’ombre portée

la représentation de l'obscurité à la renaissance

Un monde sans ombre

Le traitement de l’ombre a réintégré la représentation au moment de la Renaissance.
Nadeije Laneyrie dagen continue son analyse

« Ce manque n’est pas la marque d’une impuissance formelle et n’émane pas non plus, semble-t-il, de la crainte de troubler la lisibilité de l’image.
Il résulte de la volonté d’ignorer la matérialité des motifs figurés.
L’absence de la nature morte ou du paysage dans l’art de cette époque, comme celle d’un corps humain figuré pour lui-même et non héros d’une histoire, n’a pas d’autre raison.
En un temps où le discours religieux préconise le dédain du temps passé sur la terre, les peintres n’ont pas la liberté ou pas le désir d’accorder une importance à la description précise d’un objet, d’un paysage ou d’un corps, et ils se soucient moins encore d’explorer les lois de la physique ou de l’optique – notamment l’interruption de la lumière par une matière opaque. »

l'esthétique : le lien entre intention et choix techniques

Les artistes du moyen-âge n’étaient pas des incapables, il ne s’agit pas d’une incapacité technique ou d’une observation différente de la notre. Les humains observent tous de la même manière depuis l’aube des temps.
Simplement leur intention diffère. 

« La peinture médiévale chrétienne ne se donne pas pour un simulacre. Elle renvoie à une personne absente, Dieu lui-même, un saint, ou de simples mortels vivant ou ayant vécu dans un autre temps ou un autre lieu.
Elle ne cherche pas à restituer l’exacte réplique d’un être, mais elle se soucie d’en livrer un signe qui ne puisse être confondu avec lui.
Cette différence d’intention s’explique par de très fortes raisons.

D’une part – j’ai déjà évoqué ce point – le christianisme se préoccupe de l’âme et non du corps; il conçoit l’avenir des justes dans l’au-delà non comme une réplique éternelle de la vie sur terre, mais comme le paradis des âmes enfin séparées de leur corps. »

L'art du moyen-âge coïncide avec la pensée de son époque

On peut avoir l’impression que le moyen âge était un temps obscur où par manque d’éducation les artistes ne savaient pas représenter le réel.

Mais il faut bien entendre que l’art ne se déploie jamais seul, il est porté par une pensée sociale ou religieuse.
L’art du moyen-âge coincïde avec la théologie et la pensée de son époque.

« A ce principe fondamental s’ajoute assez rapidement la crainte que l’image, trop semblable au réel, ne donne lieu à un culte idolâtre. »

On retrouve ici la pensée Platonicienne.
L’idée des choses nous est inaccessible.
Les objets et éléments que nous observons ne sont que de pâles copies de l’idée.
Dans ce cas, la copie d’un objet par la peinture est encore plus éloignés de l’idée que l’objet lui-même.
Dans la pensée platonicienne qui influencé l’art chrétien jusqu’à la Renaissance, l’art « réaliste » éloigne de la vérité, l’artiste « illusionniste » est un menteur dangereux. 

« Pour éviter le risque d’une confusion entre son œuvre et la réalité, le peintre cultive les conventions qui montrent que la première est pure simulation et non présence réelle.
Pour ces deux motifs, il ne se soucie pas de peindre la matérialité des corps et en ignore délibérément ces indices que sont clair-obscur et ombre. […]
Ce n’est qu’à l’extrême fin du Moyen Age que la matière corporelle, signifiée par le modelé et par l’ombre qu’elle suscite derrière elle, commence à être systématiquement explorée par les peintres. »

Observons ici Adam et Eve de Masaccio et les ombres portées à leurs pieds. 

la représentation de l'obscurité à la Renaissance
Masaccio - Adam et Eve - Basilica di Santa Maria

La réhabilitation du corps physique

« Mais cette attention au corps suppose au préalable que l’enveloppe physique de l’homme ait fait l’objet d’une réhabilitation.
La théologie du XIIIe siècle, orientée décisivement par saint François, va dans ce sens: elle célèbre la création divine, incite les fidèles à admirer le monde et à profiter des bienfaits que Dieu a dispensés à l’homme pendant son temps de vie, au lieu de prôner le dédain du corps et des jouissances terrestres. […] »

Giotto - la vie de St François d'Assise

La peinture miroir de la nature

La peinture devient un miroir de la nature et n’accepte pour maître et modèle que la nature elle-même.
C’est un changement total de paradigme.
Une révolution aussi spéctaculaire, dans ces 5 dernières années du 13ème siècle, que l’arrivée de l’abstraction au début du 20ème. 

Changement théologique 
=>changement d’intention dans la représentation

=> changement formel. 

Les lignes, les couleurs, les ombres, les lumières font leur apparition dans la peinture. 
Désormais on se reconnait soi et le monde dans les images. 
On peut reconnaître des personnes existantes. 

Si on observe la Sainte Trinité de Roubliev on y voit une perspective inversée, faisant du spectateur le point de fuite de l’oeuvre.
Dans cette oeuvre, la lecture se fait du sacré vers le fidèle, du monde divin vers le monde terrestre. 

La représentation de l'obscurité à la Renaissance
La Sainte Trinité de Roublev

le point de vue individuel

A la Renaissance, le spectateur n’est plus extérieur aux scènes représentées. 
Il en devient témoin et même acteur, ils sont désormais du même monde.

Il peut même se substituer au point de vue unique du peintre, voir à sa place. 

En effet la perspective linéaire donne à voir un point de vue individuel. 

L’artiste de la renaissance reconstruit le monde depuis son point de vue individuel et une fois l’oeuvre donnée aux fidèles, laisse sa place au spectateur qui peut, à son tour embrasser ce point de vue unique. 

Représenter le monde d’un point de vue individuel aurait été inimaginable au moyen-âge où l’on représente le sacré selon une vision universelle et idéale.  

Quelle arrogance et quel intérêt que le point de vue d’un seul individu ? 

C’est le début de l’humanisme, l’homme au centre du monde. 

Pour accompagner cette nouvelle philosophie de nouveaux moyens techniques sont mis en oeuvre et c’est le statut entier de l’artiste qui est réhabilité. 

L’artiste n’est plus un simple teinturier ou manipulateur, il devient un savant. 
Il étudie les phénomènes lumineux, la géométrie, la perspective et l’anatomie. 

l'étude et l'analyse

Les artistes se mettent à observer la nature et développent un regard analytique.
Après avoir dessiné d’après des recueils de modèles pendant des siècles ( voir le carnet de modèle de Villard de Honnecourt),  le dessin et l’étude d’après nature devient central. 

Albrecht Dürer - Études de mains jointes

Les artistes s’intéressent désormais aux volumes, à l’optique, aux phénomènes lumineux, ils théorisent leur vision (perspective linéaire et atmosphérique) 

Albrecht Dürer - études d'oreillers

imprimerie et essor du dessin

Au même moment l’imprimerie est « inventée ».
Les livres se diffusent et nécessitent des illustrations précises, ce qui renforce encore davantage le primat du dessin. 

C’est le début d’une nouvelle aventure graphique, la maîtrise du volume et des modelés par la ligne : la Hachure

La représentation de l'obscurité à la Renaissance
détail de Adam et Eve par Albrecht Dürer

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