Le mot“grisaille” désigne une peinture traitée en camaïeu de gris de différentes valeurs allant du blanc au noir.
Technique de chiaroscuro ou clair-obscur, le sujet est ainsi résolu dans son dessin et sa composition autant que dans ses volumes et son atmosphère.
On peut réaliser une grisaille à partir de gris neutre ( noir et blanc) mais aussi à partir d’une autre gamme chromatique (gris verdâtres, bruns, ocres)
François Boucher les forges de Vulcain
Histoire de la grisaille
Renaissance et volume
On dit que la grisaille est apparue dans les fresques de Giotto au début du 14e siècle, à une époque où les artistes s’intéressent depuis peu à l’illusion du volume.
Ce système de nuances de gris représente à merveille la matière de la pierre. Giotto l’utilise ainsi pour créer des jeux d’illusion de volume et de lumière.
Giotto
Parallèlement, elle est utilisée par les vitraillistes comme technique pour dessiner sur le verre et par conséquent bloquer le passage de la lumière.
Dans le vitrail, la grisaille est un outil de dessin autant qu’un symbole d’austérité.
Austérité religieuse
A une époque où le dessin prime et la couleur est symbole d’illusion trompeuse et de séduction triviale, la grisaille véhicule une austérité propice à la représentation de sujets religieux.
Elle devient l’une des caractéristiques de la peinture du Nord ; au revers des retables, des scènes ou personnages bibliques sont souvent représentés en grisaille.
La liturgie, en associant au temps de carême l’emploi de la grisaille, donne à cette dernière une fonction religieuse.
Fervent adapte de cette grisaille austère et calme, Jérôme Bosch réalise des scènes entières, parfois même des paysages, à l’aide de seul principe.
Jérôme Bosch
La grisaille : une esthétique à part entière
Grisaille et miniature
En miniature, la grisaille est immédiatement adoptée comme un style artistique à part entière, une forme nouvelle.
Le format réduit de la miniature oblige à des innovations plastiques : on parle de « demi-grisailles » quand l’artiste rehausse de couleurs rouges, bleues ou vertes, pour rendre les chairs, les cheveux et les fonds, avec des effets de modelé et de profondeur.
Elle s’adapte donc bien au médium du livre, elle est écriture dessinée plus que picturale.
La grisaille est donc employée dans les manuscrits et plus particulièrement dans les encadrements restituant des sculptures ou des éléments d’architecture .
Le goût pour la grisaille devient une mode dans les manuscrits parisiens de luxe entre 1350 et 1380, puis elle disparaît pour renaître aux Pays-Bas bourguignons vers 1425, utilisée par Van Eyck et le Maître de Flémalle pour imiter la sculpture au revers des retables.
Grisaille et habileté du peintre
Elle perd alors sa fonction religieuse pour devenir un procédé pictural. Créant une illusion de volume, elle prouve l’habileté du peintre.
Elle est ensuite utilisée par de très nombreux artistes : Andrea del Sarto, Le Corrège, , Beccafumi, Otto, Rubens, Van Dyck, Van Thulden, etc.
Elle connait un immense succès au XVIème siècle dans l’émail avec Pierre Reymond ou Pierre Penicaud.
Pier Paul Rubens
Grisaille et rococo
Au XVIIIème siècle, la grisaille perdure en devant une des variétés du style“rococo” avec des peintres comme Boucher.
Elle donne en effet l’illusion du bas relief sculpté et du trompe l’oeil, particulièrement appréciés dans l’univers des panneaux décoratifs peints de l’ époque.
Les peintres n’utilisent que des nuances d’une même couleur afin d’imiter le marbre, la pierre, le bronze.
Si on appelle aujourd’hui“grisaille” une oeuvre réalisée uniquement en nuances de gris, il est important de réaliser que sous la majorité des oeuvres colorées du 14ème au 18ème on trouve une grisaille recouverte
La grisaille est en effet également une étape de travail dans le procédé pictural
Une étape dans le procédé de fabrication de la peinture classique
Si l’on re-situe à une époque où les matériaux coûtent cher, où la“matière picturale” autant que le geste du peintre ne sont pas appréciés, la grisaille est une technique permettant au peindre de résoudre l’entièreté de son sujet en couches maigres. Et ce sans utiliser une seule couleur.
la grisaille comme outil de communication avec les commanditaires
Dans le cadre d’une peinture de commande, comme cela était quasiment toujours le cas jusqu’au 18ème siècle, l’artiste devait soumettre son projet à son commanditaire.
Il réalisait alors des“cartons” à échelle réduite reprenant toute la composition.
Le client pouvait alors demander des modification ou valider l’oeuvre.
En collaboration avec l’artiste, il pouvait aussi choisir les pigments à utiliser en fonction de son budget.
La grisaille servait en quelque sorte de « bon à tirer » avant de passer au grand format et à la couleur.
Rembrandt Van Rijn
La grisaille pour une économie de peinture et une surface lisse.
On utilise la grisaille en première couche sur l’oeuvre“définitive”.
Le peindre“résout” ainsi son sujet en une seule couleur qu’il délaye plus ou moins pour faire transparaître la couleur d’apprêt de sa toile (l’imprimature).
Une fois que la composition est parfaitement établie et que chaque élément est traduit dans son volume, l’artiste peut alors superposer des glacis : jus colorés transparents pour“teinter” son sujet.
Cela correspond à une économie importante de couleurs.
Par exemple : Au lieu d’utiliser une grosse quantité de bleu pour traiter un drapé en fabriquant du bleu foncé, du bleu moyen et du bleu clair, l’artiste résout son drapé au gris brûnatre puis superpose un bleu transparent. Le modelé des drapés, réalisé à la grisaille reste toujours visible sous les glacis bleus.
Van Eyck
La grisaille pour séparer les sujets de travail
la grisaille a aussi comme grands intérêts de permettre à l’artiste de se concentrer sur une question à la fois et même de déléguer certaines parties de son travail.
En effet lors de la partie grisaille, l’artiste ne s’occupe que du dessin et des volumes et ne se soucie pas de la couleur.
A l’époque classique, cette étape peut éventuellement être déléguée aux apprentis qui agrandissent le dessin du maître sur un grand format.
Le maître intervient alors uniquement lors de la pose des couleurs et des détails
Comment réaliser une grisaille ?
On peut réaliser une grisaille de trois manière différentes :
Grisaille liquide :
Délayez une couleur sombre avec son liant ( médium pour la peinture à l’huile ou eau pour l’acrylique ) pour créer des nuances allant du parfaitement transparent au très sombre
Grisaille sèche :
Parfaitement adaptée sur une imprimature claire, on peut également utiliser un pinceau sec, épuisé de peinture et le frotter sur la surface de la toile pour déposer une poussière colorée.
Plus on appuiera sur le pinceau plus la couleur déposée sera sombre. Plus on frôlera le support, plus la couleur déposée sera claire. Cette technique de grisaille est très rapide et efficace pour modeler les volumes et accélerer les temps de séchage
grisaille sèche réalisée par Eric, élève d’un autre ateliergrisaille sèche et glacis colorés réalisé par Eric, élève d’un autre atelier
Grisaille en camaïeu :
On peut aussi utiliser du blanc en plus de la couleur sombre.
Dans ce cas on ne s’appuiera pas sur l’imprimature ou fond de toile mais on créera des mélanges de nuances différentes.
Cette technique est particulièrement adaptée lorsqu’on travaille sur une imprimature sombre.
grisaille en camaïeu réalisée par Alexandre, élève d’un autre atelier
La grisaille aujourd’hui
Il est absolument toujours possible de travailler en grisaille aujourd’hui.
Son usage est même très pédagogique et permet au peindre de séquencer son travail. Il s’appuie ainsi sur les couches précédentes et avance sa peinture sans se perdre.
On peut réaliser la grisaille à l’acrylique avant de peindre à l’huile ou bien la réaliser tout de suite à l’huile.
La grisaille est également très pertinente à l’aquarelle.
L’artiste pourra résoudre l’entièreté de sa scène avec une couleur délavée de gris violacé par exemple, avant de poser des jus colorés.
Winslow Homer
Nous abordons la grisaille dans le 2ème chapitre de la formation COULEURS.
Nous sommes Charlotte et Laurent, deux amis artistes diplômés des Beaux-arts de Paris. Ensemble nous avons créé un autre atelier; une communauté d'apprentissage du dessin en ligne pour une pratique éclairée, productive et gratifiante !
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