Le dessin est souvent approché à l’aune de l’expression personnelle et du “lâcher prise”.
Nous avons hérité de la modernité le principe que l’artiste ne représente pas uniquement ce qu’il a devant les yeux mais également ce qu’il a en lui.
Le dessin est bien un moyen d’expression et très loin de moi l’idée de dire le contraire !
Oui l’artiste s’exprime et cela peut passer notamment par une pratique décomplexée et assumée.
Il exprime une pensée ou un point de vue sur un sujet et il exprime également son caractère ainsi que ses émotions vis-à-vis du-dit sujet.
Les trois questions de l'expression artistique
1 Qu’est-ce que je veux représenter ?
Ça c’est facile à comprendre.
C’est l’idée d’un sujet (d’une composition, d’une narration, etc.).
C’est le projet, l’intention, le dessein dans son orthographe première.
2 Comment est-ce que je le représente ?
Pour répondre à cette question, le dessinateur pose des choix techniques et esthétiques, conscients et inconscients, tout au long de la réalisation.
Ces choix découlent directement de l’intention initiale mais ils s’égrènent également au fur et à mesure du dessin car l’artiste s’adapte à son œuvre au fur et à mesure qu’il la crée.
C’est comme dans la vie.
On a un objectif, on se fixe les moyens pour l’atteindre mais la vie fait que l’on ne peut pas tout contrôler et donc on s’adapte et on fait preuve de souplesse pour accueillir ce qui arrive : les bonnes surprises comme les accidents.
Ces choix successifs posés par l’artiste dépendent aussi de ses ressources, c’est-à-dire des outils et des codes du dessin qu’il maîtrise ou découvre et dans lesquels il peut venir puiser.
3 Comment j’assume / je suis aligné avec cette représentation ?
C’est une question plus subtile mais ça se joue essentiellement au niveau du geste, de l’énergie de travail déployée tout au long du dessin et qui vient coïncider avec l’intention et les choix.
Je dirai donc, même si c’est une analyse un peu rapide, que l’expression artistique naît d’une intention, se déploie grâce au choix de moyens techniques et esthétiques adaptés, et qu’elle rayonne parce qu’elle est assumée et vécue de manière authentique à travers le geste.
Le dilemme du dessinateur débutant
Intention versus moyens techniques
Un débutant en dessin ne se pose en général que la première question « qu’est ce que je veux représenter ».
Et c’est normal.
C’est-à-dire qu’il a une intention : celle de représenter tel ou tel sujet.
Puisqu’il est débutant, il a très peu d’outils dans lesquels puiser, mise à part la ligne de contour et l’estompe au doigt (bon, je sais, j’exagère un peu).
Il ne connaît pas assez le langage du dessin pour opérer des choix esthétiques ou techniques, et il n’a peut-être même pas encore conscience qu’il peut opérer des choix.
Au contraire, il subit son sujet.
Le poids des blocages et des attentes
- Il a donc un objectif mais peu de moyens.
- En plus, ses gestes sont malhabiles et anxieux. Il manque de dextérité et d’assurance.
- Ajoutez à cela les différents blocages culturels, psychologiques, émotionnels, la question du talent, la peur de mal faire, l’envie de bien faire, le manque de confiance en soi, etc.
Le mythe du lâcher-prise pour les débutants
Pourquoi le lâcher-prise est difficile (impossible) pour les débutants
Comment, dans ces conditions, peut-il se “lâcher” pour s’exprimer ?
Si vous débutiez dans une langue étrangère et qu’on vous demandait de vous lâcher pour rédiger une poésie qui exprime ce que vous êtes ou ce que vous pensez, vous auriez l’air bien malin !
Alors ça ne veut pas dire qu’un dessinateur débutant ne puisse pas totalement réussir à lâcher son geste.
Mais pour “lâcher” son geste, il devra faire le deuil de son intention initiale, qui était de représenter son sujet dans ses justes proportions, etc.
Les limites du lâcher-prise pour un débutant
Un dessinateur débutant ne peut pas à la fois se concentrer sur son geste et se concentrer sur les proportions.
Il peut séparer ces deux objectifs mais les fusionner demande plus d’expérience.
Cette injonction à se lâcher produit donc, à mon sens, l’inverse d’une expression personnelle.
Un conseil contre-productif pour les débutants
La perte de l'intention initiale
Il dépossède le dessinateur de la seule chose qu’il avait et maîtrisait , c’est-à-dire son intention initiale.
Il produit de la sidération : sans aucun moyen d’agir, il se retrouve comme un lapin pris dans les phares d’une voiture.
la culpabilité d'un lâcher-prise râté
Il produit même de la culpabilité. Bah oui, puisque si le débutant ne parvient pas à se lâcher, ça revient presque à lui dire qu’il n’a rien dans le ventre.
Il fait même pire que cela ce conseil, parce que, à l’échelle d’une société entière, il affirme en filigrane que l’expression personnelle, c’est une sorte de flot (existant ou inexistant un peu comme le chat de Schrödinger) qui ne demande qu’à sortir.
L'expression artistique est un processus pas un lâcher prise.
il n'y a pas de flot intérieur !
Mais on n’a pas en soi un espèce de magma qui ne demande qu’à sortir.
De la même manière qu’une pensée se précise et s’affirme grâce aux mots qui la tissent. L’expression graphique se déploie grâce aux moyens techniques et esthétiques qui la constituent et à l’intérêt grandissant du dessinateur : c’est une catalyse.
Développer ses moyens et non lâcher-prise
On ne s’exprime pas en se lâchant.
On ne s’exprime pas à partir de rien.
L’expression artistique, ce n’est pas de l’incontinence !
Alors, à mon sens, ne vous laissez pas avoir par cette injonction, mais développez vos moyens et apprenez à habitez vos gestes !
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