Si vous trouvez que vos dessins sont souvent ratés, cet article devrait vous être très utile !
Il est inspiré d’une visio collective en direct portant sur notre formation le Fil d’Ariane et d’une petite envolée lyrique de Laurent et moi-même sur le ratage, pour réconforter les élèves qui luttent sur leurs dessins.
Cette formation sur les bases du dessin est composée de 3 chapitres de 10 épisodes de cours chacun:
- Le 1er chapitre porte sur la construction (bien proportionner le sujet observé)
- Le 2ème chapitre porte sur les valeurs ( modeler les ombres et les lumières )
- Le 3ème chapitre porte sur le geste ( maîtriser ses gestes et développer une écriture sensible)
Dans le premier chapitre, il s’agit donc de développer un regard analytique pour réussir à bien observer son sujet, relever les bonnes informations et traduire ses formes avec justesse. Gros programme !
Puisque la construction est en quelque sorte le socle de tout dessin, ce qu’on aborde dans ce chapitre est essentiel pour tout dessinateur souhaitant progresser en dessin d’observation. Et c’est une étape qui demande beaucoup d’humilité et de rigueur.
Mais les dessinateurs qui suivent ce chapitre se confrontent très vite à un autre paramètre essentiel du dessin : le ratage.
Ça rate, ça rate et ça rate encore … 👎🏽
Oui je sais vous me voyez venir avec mes gros sabots :
“Vous êtes obligés de rater beaucoup pour un jour ne plus rater ”
Merci Charlotte… un article juste pour ça ?
Non… je vous propose d’aller un peu plus loin dans la réflexion. Mais commençons par le début :
Faut-il rater ses dessins jusqu’à ne plus les rater ?
Enfonçons une porte ouverte : l’erreur est absolument inévitable dans tout apprentissage.
C’est en ratant qu’on ajuste son regard, ses gestes et sa méthode de travail.
C’est en s’engluant péniblement dans un dessin qu’on peut prendre conscience qu’on s’y prend comme un manche.
C’est en constatant un résultat franchement médiocre qu’on peut se demander comment on pourrait s’y prendre mieux la prochaine fois.
C’est en recommençant à partir d’une maladresse qu’on développe de la maîtrise et de la dextérité.
Comme dirait Laurent : « Ce n’est pas parce qu’on a compris comment Federer réalise ses revers qu’on va réussir rapidement à faire aussi bien”
Il faut fendre sa bûche, rouler sa pierre et porter sa croix 🥵
C’est donc un long chemin de ratage qui s’étale devant vous (et où vous vous étalez copieusement vous aussi)
Avec une souffrance de plus par rapport à d’autres types d’apprentissages :
Un dessin ça se voit et vos erreurs se voient bien elles aussi 👹
Personne n’assiste à vos répétitions devant la glace pour le spectacle de danse de fin d’année. Vous pouvez donc vous entraîner incognito et ne vous offrir en pâture au regard des autres que quand vous vous sentez à peu près prêt.
Mieux que ça, chacun de vos gestes ratés disparaît sitôt qu’il est terminé.
Mais un dessin ça laisse des traces..
Et à chaque ratage, c’est une preuve de plus de votre incompétence. Dur…
Morflez… et un jour ça ira mieux ?
Ceux qui “réussissent” ce parcours et deviennent des dessinateurs accomplis seraient donc des espèces de héros,
des mangeurs de chamallow exemplaires,
des pro de la secondarisation et du report de la gratification immédiate,
des martyrs sacrifiés sur l’autel du dessin, capables de souffrir plus que les autres avant d’obtenir, après une longue et pénible torture, l’auréole du “dessinateur accompli” .
L’enfer sur terre
Sauf qu’il n’y a pas de label “artiste accompli”.
Au risque de vous décevoir, vous n’atteindrez jamais le niveau où vous ne ratez plus.
Et pour cause il n’existe pas.
Bien sûr qu’au bout d’un moment, à force de pratique et de méthode vous arriverez à proportionner vos dessins. ( et ce sera vraiment ultra réjouissant) Vous ne pourrez quasiment plus jamais “rater” vos constructions.
Mais… surprise ! vous raterez autre chose ! 🥳
D’abord le modelé du volume, puis la profondeur, puis l’expressivité de vos gestes, puis la clarté de vos compositions, puis l‘impact de votre propos, puis l’authenticité de votre expression etc etc. Cher lecteur, le nombre de vos ratages futurs est infini.
Comme dirait Laurent :
« Dessiner, ça rate tout le temps«
Vous n’êtes pas au bout de votre peine..
Et en même temps c’est une bonne nouvelle, parce que si un dessin c’est toujours “raté” , on peut arrêter de s’encombrer avec cet adjectif, l’intégrer à la définition même du mot « Dessin » et arrêter de se mettre la « rate » au court bouillon. On peut même se tenter une petite pirouette conceptuelle :
Si c’est toujours raté, est-ce qu’en fait, ce serait pas toujours réussi ? 😊
J’adore cette phrase de Samuel Beckett :
“Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux.”
Echouons encore mieux ⛅️
Même s’il est raté, votre dessin est parfaitement réussi dans le sens où il est la manifestation de votre recherche, de vos regrets, de vos hésitations et de vos progrès dans votre manière de vous poser des questions de dessin et de tenter d’y répondre avec les moyens du dessin :
“qu’est ce que c’est que ce truc devant moi ?
ça ressemble à quoi ? comment ça prend la lumière ? comment ça tourne ?
qu’est ce que ça me fait à moi ? qu’est ce qu’il m’en reste ? qu’ai -je à en dire ?
que veux-je en dire ? “ que veux-je en dire sans le dire ?
Pfiouuu… »
Un dessin est absolument toujours réussi tant que la recherche est vivante. La qualité du questionnement joue également mais ça c’est un autre sujet. En tous cas c’est ça une démarche artistique, qu’on y consacre 2h ou 70h par semaine.
Il ne s’agit donc pas de ne plus rater mais de fraterniser avec l’échec 🤝
On peut remplir ses carnets de 150 dessins “ratés” et n’en avoir “réussi” qu’un ou deux.
Les 150 échecs ne sont pas simplement une phase préliminaire de brouillon avant la réussite.
Même si parmi eux éclosent ces 1 ou 2 dessins réussis qui correspondent à ce que vous aviez en face des yeux ou au fond de la tête.
Les 150 dessins ratés font irrémédiablement partie de l’aventure, ils sont l’aventure.
Ils sont le coeur même de la pratique de l’artiste.
Ce qui est réussi c’est votre regard qui s’éduque, votre dextérité qui s’exerce, votre autonomie croissante, vos petites victoires par ci, par là et votre appétit et vos yeux qui s’ouvrent grand.
Le vrai trésor de la pratique du dessin 💰
C’est un nouveau prisme à travers lequel regarder la pratique du dessin.
Il ne s’agit pas de faire de bons dessins Il s’agit juste de chercher 😊
Mais nous ne vivons pas dans un monde de bisounours où tout il est réussi, et tout il est joli, et que l’important c’est juste de participer. Soyons un peu plus exigeants que ça tout de même !
Bien sûr qu’on peut quand même dire qu’il y a des dessins franchement ratés.
Les dessins ratés sont ceux qui ne correspondent pas à l‘intention qui les fait naître.
=> “j’ai voulu faire réaliste mais je ne me suis ni posé les bonnes questions ni donné les bons moyens pour y parvenir“
=> “j’ai voulu être expressif mais je ne me suis pas donné le temps de ressentir avant d’exprimer et d’ailleurs je ne dessine qu’avec ma tête. Ma main c’est juste le truc qui tient mon crayon”.
=> “je veux faire un dessin impressionnant mais mon dessin ne transmet rien d’autre que mes capacités techniques. c’est une jolie coquille dorée vide de sens et vide de moi. ”
La technique c’est formidable, mais uniquement quand ça se met au service d’une intention.
Dès que ça devient un objectif, c’est chiant à mourir.
Un peu comme si vous appreniez l’anglais juste pour le mettre sur votre CV et sans jamais discuter avec personne.
Quand la technique n’est plus un tremplin mais devient une certitude à laquelle vous vous accrochez comme une moule à son rocher, quand vous arrêtez de chercher et de vous poser des questions, finalement c’est là que vous ratez vraiment vos dessins.
“Belle exécution ! “pourrions nous dire face à une oeuvre parfaitement contrôlée..
Bravo vous avez fusillé votre Dessin : il est mort !
Dessiner c’est donner une forme à son regard 👁👁
Alors bien sûr, l’artiste expérimenté produit des oeuvres “réussies”.
(Les fameuses 2 réussies dans un gros tas de recherches hésitantes).
Et on s’en régale évidemment.
Georgio Vasari nous raconte que Michel Ange a brûlé une grande partie de ses dessins préparatoires pour que personne ne puisse constater ses luttes et ses échecs, perpétuant ainsi le mythe de son génie inné. haha..
Même s’il a réussi à en convaincre certains, lui-même n’est pas dupe : il sait qu’il a bien galéré comme les autres.
Bien sûr les recherches d’un artiste expérimenté sont de moins en moins maladroites mais ce n’est pas pour autant qu’il ne rate plus.
Il est toujours sur le fil.
Dès lors qu’il commence à se reposer sur ses acquis et à s’auto-plagier, dès lors qu’il ne prend plus le risque de rater, c’est sa pratique entière qu’il exécute.
Le ratage, le tâtonnement, la prise de risque, l’ouverture à l’accident sont donc la nature-même de la pratique artistique.
C’est ce que nous chérissons chez les autres :
=> sans cette caractéristique essentielle de la pratique artistique, nous ne saurions pas distinguer les artistes entre eux.
Ils auraient tous atteint le même niveau excellent de savoir faire technique et ,une fois gavés de certitudes, n’auraient rien questionné de plus.
Pas de Giotto, pas de Michel Ange, pas de Rubens, pas de Van Gogh, pas de Monet, pas de Frida Kahlo, etc
C’est ce que nous devrions apprendre à chérir chez nous :
On rate tout tout le temps quoiqu’il arrive.
Autant rater avec passion.
Et échouer de mieux en mieux.
Bien dessiner n’est donc un long chemin de souffrance et de ratage avant la béatification que pour celui qui en fait une destination.
Pour ceux qui arrivent à le voir comme un périple, dessiner devient une aventure palpitante : celle de la rencontre de son regard posé sur le monde.
Ces dessinateurs accomplis que l’on admire tant sont des rateurs en série, des addicts du foirage, des boulimiques de tentatives infructueuses.
Et ce serait vraiment trop chouette qu’on voit bien plus souvent leurs dessins ratés.
Alors si vous ratez vos dessins, bienvenue au club !
Je vous souhaite de tout coeur de continuer à échouer !
A la semaine prochaine 👋 Quoique ce sera peut être Laurent qui aura repris du service
Charlotte
PS : en écrivant cette lettre j’ai réalisé que « râter » s’écrit en fait « rater » sans accent circonflexe !!!
Je voulais quand même partager ça avec vous au cas où, si comme moi, vous ne saviez pas.
Parce que ça fait 40 ans que je râte continuellement l’orthographe du mot « rater »
Truc de dingue…
Et si vous voulez rater encore mieux et dans la joie :
surtout rejoignez nous ! On vous promet beaucoup de dessins foirés tout à fait réussis et beaucoup de dessins réussis encore très loin du compte !
Retrouvez la présentation de nos formations ici et nos formules d’abonnement là
c’était la 37 ème édition de LA BOBINE, la newsletter d’Un Autre Atelier qui vous accompagne chaque vendredi dans votre pratique du dessin.
