Analyse d’un dessin de Friedrich

Analyse d’un dessin de Caspar David Friedrich : Un hibou sur une tombe

Dans un sol aride parsemée de cailloux et où poussent des chardons, une tombe a été creusée.

Dissimulant la béance noire de la fosse, un cercueil repose sur une structure de planches.

Demain on descendra le cercueil au fond du trou grâce à la corde laissée juste là, sur le côté.

Puis deux pelles le couvriront de terre fraîchement retournée et ré-aplaniront le paysage.

C’est un enfant qu’on enterrera demain, le cercueil en bois sculpté ne fait pas plus d’un mètre.

Il reposera là, sur cette butte surplombant un littoral boisé et les premières nappes luisantes de la mer baltique.

Profitant du calme de la nuit, un gros hibou s’est perché sur le couvercle.

Ses serres agrippant fermement la moulure, la tête auréolée par la pleine lune , il nous regarde fixement, nous, le spectateur, pourtant parfaitement étrangers à la scène.

A moins qu’il ne scrute plutôt l’auteur de ce dessin, Caspar david Friedrich, qui en 1836, est de plus en plus obsédé par la mort.

Caspar David Friedrich : Un artiste solitaire et mystique

L’artiste est à la fin de sa vie et représente alors de plus en plus fréquemment des tombes, des cimetières et des ruines sur lesquelles se posent ou planent des oiseaux de nuit.

L’année passée, en 1835, une crise d’apoplexie le laissait partiellement paralysé des bras et des jambes. Incapable de peindre, il se rabattit quelques années sur le dessin avant d‘abandonner totalement ses pinceaux en 1839 puis de mourir en 1840.

Qui Friedrich enterre t il ici ?

Nous donne-t-il à voir son propre futur enterrement ?

Ou enterre – t- il encore et encore en dessin et peinture ses proches perdus ?

Une enfance parsemée de deuils

Car à sept ans il a perdu sa mère et sa soeur Elisabeth

Quand il avait 13 ans son frère Johann Christoffer 12 ans s‘est noyé dans la mer baltique en essayant de l’aider alors qu’il était lui, Caspar david, tombé à l’eau.

Quatre ans plus tard c’est sa soeur Maria qui disparait à son tour.

Un tempérament mélancolique

Friedrich est un solitaire, il est même décrit comme misanthrope.

Il est tellement profondément mélancolique que, par peur que sa tristesse ne déteigne sur les étudiants, l’académie de Dresdes lui refusat le professorat.

La nature comme refuge

Pour trouver le calme, Friedrich s’éloigne de ses semblables et se retire dans la nature

La semaine la plus heureuse de sa vie, il l’a passée en pleine forêt, entre les pierres, la mousse et les nuages.

Seul dans la nature, Friedrich dessine chaque arbre, chaque pierre dans son carnet, avec une grande précision .

Ses gestes sont délicats, révérencieux,

Il construit les éléments du paysage avec la plus grande légèreté, attentif à leurs formes et à la qualité de leurs contours mais aussi à leur dynamisme.

Un travail en extérieur et à l’atelier

De retour à l’atelier, il combine ses études pour fabriquer des paysages imaginés.

Pratiquant le collage avant l’heure, Il est capable par exemple de transplanter un chêne vu sur les côtes de la Baltique dans le décor des monts des Géants.

Aucun peintre de son époque ne faisait cela.

Ici c’est un morceau des falaises de l’ile de Rugen qu‘il fait se cotoyer avec un hibou, un cercueil et un premier plan herbeux.

Pour donner vie à ses paysages , il monte les valeurs progressivement et tout doucement, par de nombreuses nappes de lavis d’encre sepia de plus en plus sombres, brossant simplement les arrière-plan d’un jus unique avec de grandes taches floues et chargeant les premiers plans et les réhaussant à la plume,

“Généralement, l’oeil et l’imagination sont plus facilement attirés par une distance nébuleuse que par ce qui est parfaitement clair pour tous ” écrit-il.

Ses gestes sont à la fois d’une grande sensibilité mais ils sont aussi mesurés, calmes, tenus résultant en des paysages silencieux forçant le recueillement

Nature et spiritualité

Car la nature est aussi le lieu ou l’artiste, très pieux , se rapproche de Dieu.

«Peindre le ciel, pour lui, c’est comme aller à l’église», disait sa femme.

Personne ne devait le déranger lorsqu’il se trouvait dans son atelier.

Dans la contemplation d’une nature grandiose, Friedrich se dissout dans l’infini.

“je dois m’abandonner à ce qui m’entoure, je dois me confondre avec mes nuages et mes rochers pour être ce que je suis”

Cet amour de la nature, Friedrich nous le transmet à travers sa manière même de pratiquer le dessin.

On y sent son émerveillement et sa patience, l‘immense attention qu’il porte à la moindre épine, à l’anatomie d’un chardon , aux grumeaux moutonneux des mottes de terre, aux pousses d’herbes sèches et au ménisque brillant de la mer à l’horizon.

“le divin est partout même dans un grain de sable” ecrit-il encore.

Cette sublimation du paysage concorde avec son époque, Friedrich est un artiste romantique.

Friedrich et le romantisme

Il s’est lié avec Carl Gustav Carus savant et peintre , qui dans Neuf lettres sur la peinture de paysage explique que l’homme contemplant l’écrasante puissance de la nature n’effectue pas simplement une démarche esthétique il vit aussi une expérience mystique.

« Tu sens le calme limpide et la pureté envahir ton être, tu oublies ton Moi. Tu n’es rien, Dieu est tout. »

Friedrich retourne à Dieu.

Il le fait par l’action même de regarder le paysage, par le fait de le dessiner avec autant de dévotion.

Mais aussi par le sujet qu’il traite régulièrement : la tombe.

Friedrich et l’obsession des tombes

La tombe, encadrée dans le cadre, est un des points focal de la composition.

Deux chardons l’entourent cérémonieusement et apportent au premier-plan une sensation forte d‘aridité tandis qu’ils renforcent le sentiment de mort qui nous étreint.

De fait, les agriculteurs considèrent le chardon comme un fléau, une mauvaise herbe prolifique et intraitable.

Dans la tradition chrétienne le chardon est le symbole des souffrances terrestres endurées par l’homme après l’expulsion du Paradis, puisque, selon le livre de la Genèse

Dieu dit à Adam : La terre sera maudite à cause de toi ; C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie et elle te produira des Épines et des Chardons (Gen. III, 17, 18.)

Mais le chardon évoque aussi l’amour et le labeur qui résistent aux souffrances. Il est comme la châtaigne, l’image de la vertu protégée par ses piquants.

Et en allemand, Un de ses noms vernaculaires est Kreuzdistel (chardon-croix)

Si le motif de la croix, récurrent dans les oeuvres de Friedrich, est absent de ce dessin de manière littérale, ne peut-on peut voir dans ces deux chardons ainsi que dans les tasseaux de bois qui soutiennent le cercueil, trois motifs de crucifiés ?

A propos du tableau “ crucifix au bord de la baltique” friedrich écrit

“Pour ceux qui voient, une consolation.

Pour ceux qui ne voient pas, une croix”

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