Des proportions à l’expression
“Désolé monsieur, vous ne pouvez pas filmer les espaces intérieurs du musée…”
Tandis que je préparais une nouvelle vidéo qui a paru hier sur notre chaîne YouTube, je suis allé tourner une séquence au musée Bourdelle où se tenait l’exposition Rodin/Bourdelle corps à corps.
Car, figurez-vous qu’avant de devenir l’un des plus fameux sculpteur de sa génération, Antoine Bourdelle a fait ses classes chez son “Auguste” devancier 😅
Non pas qu’il fût son élève à proprement parler mais plutôt son meilleur “employé”.
À cette époque, tandis qu’il déjeunait avec le Maître de Meudon, près des Champs Elysées, le jeune sculpteur eut cette réflexion:
Il faut dire qu’à cette époque, personne ne prêtait attention au nom d’Antoine Bourdelle, car c’est Rodin qui signait les oeuvres auxquelles le jeune homme apportait sa contribution.
Mais si, avant même de finir les asperges, Rodin avait déjà remis le jeune artiste sur pieds, sa réflexion trouve peut-être un écho durable dans la chambre des doutes qui peuplent votre pratique anonyme 😱
J’imagine qu’on se sent toujours fort dispensable avant de se forger une identité reconnaissable.
Mais ne désespérez pas, car ce statut a du bon.
L’anonymat du praticien, artiste débutant 🫥
À cette époque, Antoine Bourdelle était ce qu’on appelle un praticien.
En sculpture, ce terme désigne l’artisan qui fait la mise au point des sculptures. Il ébauche, d’après une maquette, une statue que le Maître achèvera.
C’est dans l’ombre de Rodin que Bourdelle forgea son art, apprenant à déchiffrer les intentions imprimées dans la terre par les mains du Maître, avant de les interpréter, tout en retenue.
Et comme il intervenait à partir de l’ébauche, il était en prise directe avec la conception du sculpteur.
Cette tâche, apparemment ingrate, n’est pas sans rappeler le moment par lequel débute l’apprentissage du dessin: la construction.
La construction, apprentissage des proportions.
C’est un parcours âpre, dans lequel on endosse l’emploi de “praticien du dessin.” ⚒️
On prépare le travail en exécutant des gestes destinés à demeurer cachés sous le dessin fini, générant une frustration qui le dispute à l’impatience de voir se matérialiser l’oeuvre qu’on imagine.
Alors on ronge son frein en rêvant de chausser des bottes de sept lieues.
Pourtant il faut rester, car c’est ici que se forge le regard, dans la construction.
Le problème c’est qu’on la considère comme une étape, un préliminaire à l’expression que l’on réserve pour plus tard.
après le temps des efforts patients… 🕰
Mais la construction c’est bien plus précieux qu’un simple échafaudage provisoire.
La construction, berceau de votre expression
Sans elle, le déploiement de gestes et de techniques ressemble à un travail de maquillage sans consistance.
Voici ce qu’en disait Rodin:
Facile à dire…
Sauf si l’on accepte que l’exercice réside moins dans le développement d’un regard sans défaut que dans sa capacité à simplement tenir le regard.
C’est là que réside la difficulté: dans « l’être ici et maintenant ».
Il n’y a pas d’après…
Construire c’est déjà s’exprimer 🎨
Avec Charlotte, c’est quelque chose qu’on dit souvent.
Ça ne sert pas à produire un truc qui ressemble à la réalité mais plutôt à en faire émerger une compréhension intime qui sert de support à l’expression.
Voici encore ce qu’en dit Rodin:
Alors, s’il vous arrive de considérer avec dépit que vous n’êtes pas un assez bon copiste, dites-vous que ce n’est pas grave, car vous n’êtes pas là pour ça 😜
Vous êtes là pour interpréter.
Alors, vous pouvez aussi bien observer et manipuler les formes jusqu’à ce que quelque chose vous soit révélé, qui semble si important que vous saurez bien construire dessus.
Avant ça, c’est trop tôt pour faire un dessin, car vous n’avez rien vu 😵💫
En effet, cette vérité dont parle Rodin, elle exige votre attention, pas votre savoir-faire.
Le piège c’est qu’on confond souvent l’attention avec la focalisation, qui consiste à s’intéresser à une seule chose à la fois.
En dessin, elle se traduit en fractionnant l’observation en problèmes isolés impossibles à assembler.
On est alors comme un comédien qui se focaliserait sur chaque mot… Incapable de tenir son rôle.
À l’inverse, dans un état de concentration optimal, le même comédien perçoit un ensemble d’informations simultanément: il écoute son partenaire pour adapter son jeu, il sent l’espace de la scène pour se déplacer, il capte l’état de réceptivité de la salle, sans compter la foule d’informations internes qu’il peut enregistrer pour se piloter…
En dessin, comme à la scène, il convient de créer un état de disponibilité propre à l’interprétation en élargissant le champ de vision.
Et pour ce faire, il convient d’accorder son attention aux objets mais aussi aux formes qui les entourent.
Comprendre par le vide
Le sculpteur possède un avantage sur le dessinateur:
comme il produit des objets matériels il sait parfaitement que l’apparition d’une forme modifie instantanément l’espace où elle se dresse.
Elle fabrique du vide, et elle en fabrique à gogo 😮
Songez que chaque mouvement, chaque disposition, chaque point de vue génère une configuration singulière des pleins et des vides !
C’est pourquoi le sculpteur travaille la forme en positif autant qu’en négatif.
Et vous, que faites-vous de ces vides quand vous dessinez ?
Les prenez-vous en compte ou bien approchez vous les figures comme une liste d’objets indépendants ?
Bien sûr, vous savez qu’ils sont là mais, comme ils ne signifient rien, vous avez du mal à vous y intéresser.
Vous vous dites peut-être: “c’est du temps perdu”
Ok, mais je vous avertis: si vous choisissez de les ignorer, votre dessin risque de ressembler à une soupe dans laquelle des croutons flottent mollement.
Il faut donc construire son dessin pour posséder l’espace de la feuille.
Et, grâce aux vides, elle devient un lieu singulier, où chaque élément tient sa place car les formes positives et négatives s’emboitent et se répondent pour former un tout.
Alors ne laissez pas de trous et dites-vous que la moitié de la vérité se situe à l’extérieur des figures que vous cherchez à contenir à l’intérieur de formes closes.
C’est justement le sujet de la vidéo parue hier sur notre chaine YouTube!
Vous pouvez la consulter en cliquant sur l’image ci-dessous 👇
Vous y découvrirez un peu du Musée Bourdelle, même si on ne m’a pas donné l’autorisation de filmer les espaces intérieurs 😅
Vous y trouverez aussi quelques points-clés pour étendre votre concentration au-delà des objets et peaufiner votre approche de praticien 😉
👋 C’est tout pour cette semaine,
J’ai conscience que cette vidéo pourrait constituer pour nos abonnés une simple révision, au pire une redite, mais le dessin est un art de la répétition et il faut bégayer à en perde haleine.
Je vous donne rendez-vous le 14 mars pour fêter la 60ème édition de notre disque rayé / de notre disque rayé / de notre disque rayé 💿
PS: si, pour vous, les vides sont une nouveauté, non seulement vous aurez le plaisir d’apprendre quelque chose en regardant cette vidéo mais vous aimerez certainement les épisodes 5 et 6 du Fil d’Ariane, consacrés à l’emploi des vides et aux exercices pour vous y entrainer.
C’est une révélation qui rentabilise à elle seule le prix d’un abonnement 😉
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